L'avenir du droit du travail

Livre blanc 23

Introduction
Internationalisation ou fragmentation du droit du travail ?

Plus que toute autre branche du droit, le droit du travail est enfermé dans les frontières nationales. Tout d’abord, le droit national du travail est étroitement lié à l’histoire sociale nationale, à l’organisation sociale, à la force des syndicats et autres organisations collectives du travail. Ces particularités ont pour conséquence que les lois nationales du travail sont très différentes les unes des autres.
Bien évidemment, existe une grande différence entre les pays industrialisés en Europe, Amérique du Nord, Australie, Japon, etc., où le pouvoir des acteurs (partis politiques, syndicats, direction...) a élaboré des protections du lieu de travail à divers degrés reflétés dans la législation nationale, et les pays moins développés, où la protection des travailleurs est différente et généralement moins organisée.
Mais même entre les pays d’un même groupe, les lois du travail sont étonnamment différentes. Alors que le Canada s’est inspiré des États-Unis, notamment pour l’édification du droit des rapports collectifs, il s’en est émancipé. En effet, au Canada, le taux de syndicalisation y est plus élevé et la protection générale du travail offerte, tant au fédéral que dans les provinces et les territoires, sans équivaloir à celles offertes par plusieurs pays européens, s’avère plus robuste que celle offerte par ses voisins. En comparaison, la protection de l’ensemble des travailleurs par la loi est plus courante dans les pays de l’UE (en dépit d’importants écarts).
Dans ce contexte, l’internationalisation ou même l’harmonisation du droit du travail semble être un objectif inatteignable. Malgré des efforts très importants pour mettre en place des normes internationales, émanant pour la plupart de l’OIT, il n’existe pas, en l’état actuel des choses, d’ensemble commun de règles applicables au niveau international. De toute évidence, les États ne souhaitent guère parvenir ni même essayer de parvenir à un droit international du travail complet. Même dans l’organisation régionale la plus intégrée, l’UE, l’unification ou l’harmonisation du droit du travail est partielle, fragmentée et le plus souvent tributaire d’un objectif plus général d’intégration économique.
Mais il y a aussi une deuxième raison pour laquelle l’internationalisation du droit du travail est extrêmement difficile : sa nature territoriale. En général, les relations de travail sont régies par les lois et règlements (y compris les conventions collectives) de l’État où le travail est effectué. Par le passé, le champ d’application spatial du droit du travail était souvent déterminé sur la base d’une approche unilatérale et territoriale : le droit du travail national avait vocation à régir le travail effectué sur le territoire national. Aujourd’hui, avec l’émergence de règles de conflit bilatérales en matière de droit du travail, des résultats similaires sont obtenus sur la base du fait que la plupart des instruments de droit international privé utilisent le lieu d’exécution du travail comme principal facteur de rattachement pour déterminer la loi applicable aux relations de travail. Ainsi, en général, la relation de travail est soumise à la lex loci laboris. Néanmoins, l’origine unilatérale de la règle est encore très vivace en droit du travail, et conduit très souvent à l’application des lois locales comme lois de police (règles internationalement impératives) ou à l’intervention de l’exception d’ordre public. Et en ce qui concerne les relations collectives de travail, il existe très peu de règles de conflit bilatérales permettant la détermination de la loi applicable. La coordination habituelle organisée par les règles de droit international privé fonctionne difficilement dans les relations de travail.
Ce principe de territorialité favorise la concurrence normative entre les États et l’exploitation des différences en matière de droit du travail. Étant donné que les autorités nationales jouissent d’un pouvoir discrétionnaire pratiquement illimité pour fixer les règles et les normes applicables au travail effectué sur leur territoire, elles sont en mesure de créer un environnement réglementaire particulièrement favorable aux employeurs et aux investisseurs étrangers et d’attirer ainsi les activités et les emplois. Ces derniers temps, l’organisation des activités commerciales au-delà des frontières, par le biais de chaînes d’approvisionnement mondiales, afin notamment de profiter des coûts de main-d’œuvre inférieurs dans les pays moins développés, a conduit à des formes extrêmes d’exploitation de la main-d’œuvre. L’effondrement du bâtiment du Rana Plaza à Dhaka (Bangladesh), qui abritait cinq usines de confection produisant des vêtements pour des marques américaines et européennes, le 24 avril 2013, faisant au moins 1 132 morts et plus de 2 500 blessés, a mis en lumière l’urgente nécessité de réglementer les chaînes d’approvisionnement mondiales. D’autres catastrophes similaires, parmi les pires accidents industriels jamais enregistrés, ont éveillé le monde non seulement aux mauvaises conditions de travail auxquelles sont confrontés les travailleurs du secteur du prêt-à-porter au Bangladesh, mais, plus généralement, aux conséquences sociales néfastes de la mondialisation. En conséquence, le droit international du travail a été contraint de réagir, de manière inédite.
Il n’en reste pas moins que, dans la situation actuelle, on ne peut que constater la résistance à l’unification internationale et la territorialité du droit du travail qui conduisent à la fragmentation du droit du travail sur la scène internationale (état des lieux). Cette fragmentation va de pair avec d’importants efforts visant à atteindre une certaine uniformité du droit du travail, y compris par des techniques différentes et innovantes, qui pourraient aller au-delà de l’application pure et simple de règles de droit classiques. Le développement du droit du travail international est confronté à de nombreuses difficultés (les défis), et soulève de nouvelles questions (les questions).

 

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