Séminaire Les frontières de l'Europe sociale- Présentation
Séminaire annuel - Présentation
Organisateurs : Ségolène Barbou des Places, Etienne Pataut, Pierre Rodière (Université Paris 1)
Objet
L’objet de ce séminaire est d’explorer les frontières sociales de l’Union européenne. Ces frontières sont d’abord entendues comme celles qui, physiques ou territoriales séparent l’Europe sociale de l’extérieur, mais visent également les frontières intérieures avec les effets de cloisonnement qui s’en infèrent, en matière de circulation des personnes, à titre principal. Ce sont également les frontières qui, au sein de l’Union européen, séparent la matière sociale, par son objet, par la finalité des politiques qui la concernent, des autres parties du droit de l’Union, pouvant notamment s’y traduire dans l’opposition d’objectifs économiques et d’objectifs sociaux. On peut encore parler de « frontières » lorsqu’on examine la distribution des compétences et des tâches de l’Union d’un côté, de ses membres de l’autre. Les frontières normatives demeurent très présentes, entre les Etats membres et l’Union, entre les Etats membres eux-mêmes mêmes. Ce sont celles de l’harmonisation européenne. La notion de frontière peut aussi se glisser, plus subtilement, dans la considération des effets de la norme européenne en droit interne, entre la norme qui s’intègre directement dans l’ordre juridique interne et celle qui le pénètre indirectement, à travers une transposition nationale.
On commencera par l’examen des compétences attribuées à l’Union pour la matière sociale. S’agissant de compétences partagées, elles conduisent à s’interroger sur la discontinuité de l’action normative réalisée par l’Union au regard du champ de compétence qui est le sien, la question des lacunes que présente cette action venant au premier plan. Le principe d’attribution ou de spécialité va de pair avec le refus de transférer telle compétence matérielle à l’Union, mais le transfert de compétences à l’Union ne conduira pas nécessairement celle-ci à agir. Loin de là.
L’incompétence de l’Union ne se traduira cependant nullement par l’ouverture d’une liberté d’action complète des Etats, car l’existence d’une compétence de l’Union et de normes nées de cette compétence peuvent recouper l’action des Etats membres dans des domaines d’action qui sont les leurs. Or, loyauté oblige, les Etats membres doivent éviter de compromettre la mise en oeuvre du droit de l’Union, édicté par celle-ci dans le champ de ses compétences, y compris lorsque cette mise en oeuvre s’étend à une matière pour laquelle la compétence normative est restée nationale. S’insérant entre les compétences législatives des autorités de l’Union et les compétences retenues qui demeurent celles des Etats membres, le dialogue social et l’espace que la construction européenne a ouvert à l’action des partenaires sociaux peuvent brouiller les lignes séparatives.
La place et les effets de la Charte des droits fondamentaux dans le système normatif et juridictionnel de l’Union restent encore en partie indéterminés et l’applicabilité, la justiciabilité des droits sociaux qui s’y inscrivent relèvent de cette interrogation générale. La valeur de droit primaire qui est attribuée à la Charte est un indicateur flou et insuffisant. Où en est-on du travail interprétatif de la Cour de justice ? Sous quelles conditions de rattachement au droit de l’Union, tenant aux compétences de celle-ci, aux normes qu’elle a adoptées, à leur mise en oeuvre nationale, la Charte est-elle appelée à exercer sa fonction d’encadrement du droit de l’Union ?
Qui dit droits fondamentaux dit, traditionnellement, qualification possible de principes généraux de droit de l’Union, dont il est également dit, traditionnellement, que l’Union doit assurer le respect. L’analyse est-elle à reprendre ? Doit d’abord être noté le décalage aujourd’hui apparu entre la Charte des droits fondamentaux, ayant pris la valeur juridique des traités, et les droits fondamentaux, tels que consacrés par d’autres instruments internationaux ou européens, qui continueront à accéder au droit de l’Union par la qualification de principe général. Sans parler des droits qui peuvent directement apparaître au sein de l’Union jusqu’à y prendre valeur de principe général.
La jurisprudence de la Cour de justice, en matière sociale tout spécialement, a aussi mis en lumière une forme d’articulation normative qui ébranle la distinction entre applicabilité directe et applicabilité indirecte de la norme de l’Union. Affirmer d’un principe général qu’il se concrétise dans les dispositions d’une directive ne revient-il pas à retenir la possibilité d’un effet direct de la directive, y compris horizontalement ? Observation qui intéresse notamment la jurisprudence de la Cour en matière de lutte contre la non-discrimination.
Sur cette question s’en greffent au moins deux autres, importantes et actuelles elles aussi, concernant les sources de la norme sociale applicable dans l’ordre juridique de l’Union européenne, d’une part, concernant la « consistance » de cette norme d’autre part. La Cour de justice de l’Union puise aux sources internationales, européennes, nationales et fera volontiers émerger les principes généraux de la convergence ou du consensus international qui peut s’en inférer … mais ne le fera pas toujours. Des situations conflictuelles peuvent se présenter. Cette démarche jurisprudentielle « externalisée », teintée d’éclectisme, se rencontre ailleurs, à la Cour européenne des droits de l’homme ou devant les juges nationaux. L’idée d’un dialogue est au coeur de la problématique. Quel dialogue ? Quel équilibre ? Et quelle force d’influence ?
A cette question s’en lie directement une autre. Quels sont aujourd’hui les critères de l’applicabilité directe : précision, inconditionnalité. Ce dogme tient-il toujours ? Que reste-t-il de l’inconditionnalité, au sens procédural plutôt que substantiel, où l’intermédiation nécessaire d’une norme complémentaire fait écran à l’applicabilité directe ?
L’applicabilité du droit social de l’Union est subordonnée à l’existence d’un lien de rattachement avec celui-ci suffisamment fort pour en justifier l’application. C’est en matière de circulation des personnes que la question du rattachement au droit de l’Union et du bénéfice de la liberté de circulation est la plus vive. La distinction entre situations purement internes, ne présentant pas de rattachement et échappant au droit de libre circulation, et situations ayant avec ce droit des liens suffisants pour le rendre applicable, reste présente et, sans doute, pertinente. Rattachement, absence de rattachement : ne peut-on parler de double mouvement, en sens inverse l’un de l’autre ? D’un côté, sous la pression de la citoyenneté, le rattachement au droit de l’Union s’enrichit et trouve de nouveaux ancrages. De l’autre, la jurisprudence de la Cour de justice montre une vigilance accrue pour qualifier le lien permettant la mise en oeuvre du droit de la circulation des personnes. La citoyenneté promeut le droit de séjour du citoyen européen dans l’ensemble de l’espace européen. La liberté de circulation fait appel à un critère d’application réclamant l’existence d’un lien réel, économique ou au moins « sociétal », manifestant à un degré suffisant l’intégration dans l’Etat d’accueil de la personne qui est en situation de circulation.
La liberté de circulation s’est ouverte et continue primordialement de s’ouvrir aux personnes qui, par leur activité, produisent biens ou services. Elle le fait, plus conditionnellement, à l’égard de celui qui pourrait acquérir la qualité de travailleur ou d’opérateur économique. Elle s’ouvre aussi à celui qui, doté des ressources nécessaires, participe à la consommation de biens et services. En revanche, elle se referme à l‘égard des citoyens impécunieux ou indigents. Les Etats membres se doivent uniquement, en matière de protection sociale, « une certaine solidarité financière », dit la Cour de justice. La modestie de l’exigence de solidarité est une autre marque des limites de la citoyenneté dans son couplage avec le droit de libre circulation.
Enfin, on a pu de longue date observer une tendance à étendre l’application des principes gouvernant la liberté de circulation à des situations localisées au moins partiellement à l’extérieur de l’Union. Etait ainsi visée une jurisprudence relativement ancienne de la Cour de justice soumettant au droit de la libre circulation la situation de travailleurs exerçant leur activité hors de la Communauté, sous la condition d’un lien de rattachement suffisamment étroit avec l’ordre juridique communautaire. Cette extraterritorialité partielle de principes socio-économiques concernait les ressortissants des Etats membres.
Aujourd’hui, l’accent peut ou doit être mis sur la situation des ressortissants de pays tiers, que l’on pense en premier lieu à ceux qui ont été admis à venir travailler à l’intérieur de l’Union et/ou qui ont été admis à y résider, mais aussi que l’on vise ceux dont l’activité est effectuée hors de l’Union. Pour les premiers est principalement en cause le bénéfice de l’égalité de traitement avec les citoyens de l’Union. Pour les seconds, le respect de droits sociaux de valeur fondamentale. Dans les deux cas, il y a lieu de s’interroger sur l’existence et l’intensité d’un lien avec l’ordre juridique européen de nature à justifier un rattachement à des droits et principes reconnus au sein de cet ordre juridique. Ordre régional propre à prendre une dimension universelle ?
Organisation
Neuf séances de travail sont prévues dans l’année 2015/2016, de deux heures chacune. Pour chaque thème, sans que cela soit le moins du monde complet, une ou deux pistes sont ouvertes, en vue d’amorcer la discussion. Deux rapporteurs animeront chaque séminaire.
Les séminaires se tiendront, par principe, de 17 à 19h00 dans la salle des professeurs de l’IRJS, 4 rue Valette, 75005 Paris, 2ème étage.
Les informations sur le séminaire et éventuelles modifications de dates seront accessibles sur le site de l’IREDIES : http://www.univ-paris1.fr/unites-de-recherche/iredies/ ou sur https://fr-fr.facebook.com/iredies
Programme
1er séminaire. 15 septembre 2015
Les compétences de l’Union européenne : quel exercice ?
Rapporteurs : Marie-Ange Moreau (Lyon 2), Pierre Rodière (Paris 1)
2ème séminaire. 20 Octobre 2015
L’incompétence de l’Union : quelles ouvertures pour les législateurs nationaux, les partenaires sociaux ?
Rapporteurs: Claire Kilpatrick (IUE), Emmanuelle Mazuyer (CNRS-CERCRID)
3ème séminaire. 20 novembre 2015
Champs d’application des libertés de circulation.
Rapporteurs : Valérie Michel (Aix-Marseille), Anne Rigaux (Paris 1)
4ème séminaire. 15 décembre 2015
Les normes sociales de l’Union dans le concert international
Rapporteurs : Jérôme Porta (Bordeaux), Isabelle Daugareilh (CNRS– COMPTRASEC)
5ème séminaire. 22 janvier 2016
Les droits sociaux fondamentaux : quelle force juridique ?
Rapporteurs : Diane Roman (Tours), Sophie Robin-Olivier (Paris 1)
6ème séminaire. 16 février 2016
La solidarité sociale européenne et ses limites
Rapporteurs : Prodromos Mavridis (Commission européenne), Etienne Pataut (Paris 1)
7ème séminaire. 18 mars 2016
Du traitement des ressortissants de pays tiers :
Rapporteurs : Jean-Yves Carlier (Université Catholique de Louvain), S. Barbou des Places (Paris 1)
8ème séminaire. 15 avril 2016
Circulation et intégration
Rapporteurs: Catherine Barnard (Cambridge), A. Van Hoek (Amsterdam)
9ème séminaire. 17 mai 2016
L'Europe sociale, entre universalité des droits sociaux et frontières économiques.
Rapporteurs : Olivier de Schutter (Université Catholique de Louvain), Loïc Azoulai (Sciences Po)